Méconnu, l’achat en nue-propriété présente plusieurs atouts pour l’investisseur, à commencer par une décote importante sur le prix. Pour autant, il ne s’adresse pas à tout le monde. Décryptage de ce mécanisme ingénieux, qui existe depuis une petite vingtaine d’années. Si le montage est séduisant, il faut bien évaluer ses capacités d’épargne en amontPierre-papier. Les SCPI en nue-propriété, à l’approche de la retraite ou pour les budgets plus modestes.
Imaginez un logement bien placé, de belle qualité, que vous avez acheté avec une décote importante, et pour lequel vous n’avez ni frais, ni travaux, ni impôts à payer, ni gestion locative ou même administrative et qui, dans vingt ans environ, pourrait vous rapporter gros ! Un rêve ? Une arnaque ? Non, une vraie solution d’investissement immobilier, pour le moins originale et méconnue, qui consiste à acheter la nue-propriété d’un bien pour une durée déterminée à l’avance. A l’issue, l’investisseur récupère automatiquement la pleine propriété du logement.
Ce type de montage, lancé il y a tout juste vingt ans par le spécialiste Perl, s’appuie sur une singularité juridique, tout à fait légale, du droit de propriété. Selon le Code civil, la propriété est en effet constituée de trois parties : l’usus (le droit d’user du bien), le fructus (celui d’en tirer des revenus) et l’abusus (le droit d’en disposer). Les deux premières peuvent être séparées de l’abusus (la nue-propriété) par acte notarié (pour une donation par exemple) ou par contrat. C’est ce que l’on appelle le démembrement.
Acheter la nue-propriété d’un bien est une opération intéressante de diversification du patrimoine… « à condition d’avoir de l’épargne et du temps devant soi », prévient Johan Coulombez, directeur associé du Groupe Quintésens Bourgogne. Explications.
Forte décote
Sur le papier, le schéma est assez simple : le particulier achète la nue-propriété d’un logement via un programme immobilier (le plus souvent neuf), par l’intermédiaire de sa banque ou d’un conseiller en gestion de patrimoine, tandis que l’usufruit (l’usus et le fructus) est acquis par un bailleur social ou institutionnel (du type Action Logement, Caisse des dépôts, Toulouse Métropole Habitat, etc.). Ce dernier y logera « des locataires dont les revenus respectent des plafonds de ressources », précise Arielle Magnet, directrice des partenariats Sud-Ouest d’Inter Invest. Pour autant, les immeubles sont de belle qualité et généralement bien situés. « Il ne faut pas confondre avec les HLM, rassure Catherine Costa, directrice de l’ingénierie patrimoniale de Milleis Banque. Il s’agit le plus souvent de bailleurs institutionnels, qui souhaitent par exemple loger des fonctionnaires ou des militaires. »
Ce démembrement est toujours temporaire. Dans la grande majorité des cas, l’opération dure quinze ans, jamais plus de vingt ans (auxquels il faut ajouter deux années environ pour la construction de l’immeuble).
« Au terme de ce délai, le nu-propriétaire récupère automatiquement la pleine propriété du bien avec, le plus souvent, une valorisation de la pierre attrayante », explique Catherine Costa. C’est là le premier objectif (et avantage) de ce type d’opération : « parier sur la prise de valeur immobilière et empocher une plus-value », résume Julien Vrignaud, directeur associé d’Euodia Finance.
Celui qui achète la nue-propriété dispose en effet d’un atout non négligeable : il bénéficie d’une décote importante, « qui dépend de la durée du démembrement, détaille Arielle Magnet. Pour une durée de quinze ans, elle est de 40 % environ ». En clair, l’investisseur ne paie que… 60 % du prix auquel il serait vendu en temps normal ! « Le ticket d’entrée est très variable selon le bien et l’emplacement : dès 80.000 € pour un studio à Nantes par exemple », informe Géraldine Chaigne, directrice générale d’Agarim, nouvel acteur spécialisé du marché.
Les chanceux qui ont investi dans les toutes premières opérations lancées en 2000, à Boulogne-Billancourt et à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), récemment débouclées, ont engrangé de colossales plus-values (environ 2.500 €/m2 en moyenne, avant décote, à l’époque, contre plus de 8.000 € aujourd’hui !), peu fiscalisées de surcroît (l’impôt sur la plus-value immobilière diminue à partir de la sixième année de détention).
Même sans valorisation de la pierre, le risque est tout de même très limité, eu égard à la décote dont bénéficie l’acheteur. « Acheter en nue-propriété est aussi un moyen de se prémunir contre la baisse des marchés de l’immobilier », juge Géraldine Chaigne.
Séduisant triptyque
Autre avantage non négligeable pour celui qui veut investir dans la pierre : le nu-propriétaire ne s’occupe de rien. « Il y a zéro frais, zéro maintenance et zéro fiscalité ! » souligne Johan Coulombez. « L’investisseur ne sera même pas taxé à l’IFI [impôt sur la fortune immobilière] », ajoute Catherine Costa. En cas de démembrement, cette charge fiscale incombe en effet à l’usufruitier.
En cas d’emprunt, l’acheteur peut même en déduire les intérêts de ses autres revenus fonciers, s’il possède des biens locatifs (en revanche, ils ne sont pas déductibles du revenu global). « La nue-propriété est le seul moyen aujourd’hui d’acheter de l’immobilier direct [hors pierre-papier, lire ci-dessous] en échappant à toutes les contraintes de l’investissement locatif », conclut Arielle Magnet. Même les gros travaux ne sont pas à la charge de l’investisseur, à condition toutefois que la convention de démembrement [le contrat signé par toutes les parties qui régit les obligations de chacun] soit convenablement rédigée.
« L’annexe d’entretien doit renseigner poste par poste tous les travaux que doit réaliser l’usufruitier durant le démembrement, prévient Arielle Magnet. C’est imposant, car le nu-propriétaire ne doit avoir aucuns travaux à faire lorsqu’il récupère son bien. »
Débouclages réussis
Dernière particularité (là encore avantageuse), à l’issue de l’opération, l’investisseur récupère un logement vide de locataire et remis en état (peintures, réparations, remplacements d’équipement…). « Attention, il n’est pas neuf : votre bien aura tout de même vingt ans ! » prévient Catherine Costa. Il est toutefois suffisamment embelli pour pouvoir être vendu ou relouer.
Que se passe-t-il en effet au bout des quinze ans (ou plus) de démembrement ? « Au moins un an avant, la loi nous oblige à prévenir nus-propriétaires et bailleurs que le compte à rebours a commencé, détaille Thomas de Saint Leger, président de Perl, le groupe qui a initié les tout premiers programmes dédiés. Six mois avant la fin, le nu-propriétaire doit faire le choix entre reprendre son bien pour l’habiter ou le vendre, ou continuer à le louer, mais cette fois avec un bail loi 1989, selon les conditions de marché. » Quatre opérations ont ainsi été « débouclées » ces deux dernières années, sans heurts. « Cela représentait 70 logements, ajoute-t-il. Nous avons monté une équipe pour accompagner cette étape sensible, d’autant que, d’ici à 2023, le débouclage concernera 450 logements. »
Le choix du bailleur institutionnel (l’usufruitier) prévu au programme « est aussi un gage de succès, car il doit avoir un parc immobilier suffisamment important pour pouvoir reloger facilement les locataires », précise Géraldine Chaigne. Avant de céder, il vaut mieux vérifier qui sera le futur bailleur.
Revenus aux oubliettes
Pas de gestion locative, pas d’impôts, un prix décoté et un modèle qui semble faire ses preuves… La nue-propriété n’a-t-elle donc que des avantages ? Son principal inconvénient, et non des moindres, est de ne procurer absolument aucun revenu à l’acheteur durant plus de quinze ans.
La décote n’est pas un cadeau du monteur du programme (Agarim, Inter Invest, Perl, etc.). « Elle correspond en fait à la somme des loyers que vous auriez touchée durant quinze ans (ou plus), prévient Géraldine Chaigne. La valeur de la décote est la valeur économique de l’usufruit. » Il n’y a pas d’impôts à payer, parce qu’il n’y a tout simplement pas de revenus ! Durant tout ce temps, les loyers sont encaissés par le bailleur institutionnel.
Il faut donc avoir une assise financière assez importante pour investir en nue-propriété, surtout si vous empruntez (ce que la plupart des réseaux bancaires acceptent). « C’est un placement de long terme qui s’adresse plutôt à ceux qui ont déjà financé leur résidence principale et constitué un patrimoine », conseille Johan Coulombez. Préparer sa retraite est un bon horizon pour ce type de placement, mais seulement si vous disposez d’une belle capacité d’épargne, le marché secondaire n’étant, par ailleurs, pas très développé.